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L’Organisation Communiste Libertaire

L’Organisation Communiste Libertaire (OCL) est le résultat de la scission qui intervient en juin 1976 dans l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste (ORA) après l’exclusion de l’Union des Travailleurs Communistes Libertaires (UTCL). Alors que l’UTCL privilégie le syndicalisme et une forme d’organisation de type partidaire, l’OCL s’oriente alors vers des positions plus spontanéistes, plus favorables à l’autonomie et à des luttes qui ne se cantonnent pas qu’à la seule sphère économique [1]. Un des principaux théoriciens de la pensée communiste libertaire du XXe siècle, Daniel Guérin (1904-1988), est alors membre de l’OCL. Mais étant âgé de 72 ans en 1976, le décalage est probablement important avec les jeunes militants de l’époque. Daniel Guérin prendra ses distances avec l’OCL à partir de 1978 au moment où celle-ci s’engage dans le mouvement autonome, et finira par adhérer à l’UTCL en 1980 [2].

Roland Biard écrit en 1978 dans son « Dictionnaire de l’extrême-gauche » [3] à propos de l’OCL qu’ « il ne semble pas qu’elle regroupe plus de 500 militants » . Sachant que le groupe parisien regroupait environ 70 personnes (2), on peut supposer que la structure nationale devait rassembler au moins 300 militants. A cette époque, l’OCL continue à publier le journal édité depuis 1970 par l’ORA : « Front Libertaire » , qui paraît alors tous les quinze jours. L’engagement de l’OCL dans la mouvance autonome parisienne semble avoir commencé à l’occasion de la manifestation antinucléaire de Creys-Malville, les 30 et 31 juillet 1977. En effet, l’OCL ne participe pas au collectif d’agitation initié par Camarades en novembre 1976. Dans le numéro 78 (daté du 10 au 25 novembre 1977), Front Libertaire revient longuement sur l’histoire de l’apparition du mouvement autonome en France, dans un article intitulé « Petite chronique de l’Autonomie » et signé « Les militants et les militantes de l’OCL impliqués dans l’APGA » (Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes) [4]. Pour ces militants de l’OCL, les origines de l’apparition du mouvement remontent à 1972. Ils écrivent ainsi à propos de l’héritage de mai 68 : « 72-73 caractérise à la fois l’émergence de nouvelles pratiques reprenant en compte les acquis du joli printemps, ainsi que le début de la crise du léninisme » [5]. Dans leur article, les militants de l’OCL font référence à l’autonomie du mouvement social :

« L’APGA n’est qu’un moment et un lieu de recomposition du Mouvement Autonome, elle ne saurait et n’a jamais prétendu être autre chose. Il est certain que l’autonomie à Paris (sans parler de toute la France) représente bien plus que les cinq cents camarades présents à la dernière AG. L’autonomie parisienne, c’est certainement aujourd’hui plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers de personnes » [6].

Une estimation de l’autonomie en tant que pratique de lutte qui va bien au-delà des quelques centaines d’« autonomes » parisiens. Les militants de l’OCL qualifient d’ « autonome » une très large part du mouvement social de cette époque : « les groupes de femmes, les journaux locaux, les comités de locataires, les maisons de quartier, les occupations de locaux, les luttes contre l’urbanisme concentrationnaire, les liaisons directes ouvriers-paysans, les groupes écologistes, les groupes d’entreprises inter ou extra-syndicaux » [7].

A propos de la pratique de la violence politique, les militants de l’OCL écrivent : « 77 marque une année charnière. A travers l’expérimentation italienne, Tramoni, Maitre, Malville, Bologne ; la violence devient un thème central du débat au sein du mouvement, et en conséquence constitue un catalyseur » [8]. Les militants de l’OCL expliquent ainsi cette mobilisation :

« L’assassinat de Stammhein va constituer la goutte qui fait déborder le vase. Même si de nombreuses critiques peuvent être faites (ou ne pas être faites) quant aux méthodes et aux objectifs de la RAF, l’Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes se retrouve sur les faits que les militants de la RAF sont des camarades révolutionnaires à part entière, envers lesquels il est nécessaire de développer une solidarité effective » [9].

Dès ses débuts, l’OCL ne s’en montre pas moins critique à l’égard du fonctionnement de l’APGA (Assemblée Parisienne des Groupes Autonomes) :

« il n’y a pas de débats aujourd’hui dans l’APGA, car c’est impossible dans des AG de cinq cents personnes dont la moitié sont là en tant que spectateurs et le quart pour y foutre la merde. Pour que les problèmes qui ont été soulevés (sexisme, violence, type d’interventions, etc.) puissent être discutés, il faudrait que l’AG soit l’émanation de débats en groupes, locaux ou spécifiques où tout le monde puisse s’exprimer et qui pourrait rendre compte à l’AG des résultats de ces discussions. » [10].

L’OCL critique aussi la composition sociale de l’APGA, celle-ci rassemblant essentiellement des étudiants, des chômeurs, et des travailleurs précaires ou occasionnels, mais très peu de travailleurs permanents employés en Contrat à Durée Indéterminée. Cette critique s’adresse notamment à Camarades qui semble voir dans le prolétaire précaire la seule figure possible de l’autonomie prolétarienne [11]. Enfin, l’OCL critique de plus les insuffisances organisationnelles de l’APGA :

« Il ne faut pas non plus, pour nous, idéaliser ce mouvement qui n’a que deux mois d’existence et qui n’a pas encore trouvé ni une expression politique, ni un fonctionnement autonome. Car contrairement à ce que certains peuvent penser, un fonctionnement autonome n’est pas un fonctionnement localiste ou de petits groupes se manifestant en interventions politico-socio-militaro-localistes, mais un fonctionnement autonome doit permettre à un mouvement de trouver des structurations assez souples pour lui permettre de se battre efficacement contre le centralisme bourgeois ou léniniste, cela signifie entre autres aujourd’hui le fonctionnement de réseaux de solidarité (pour les taulards, les expulsés et tous ceux qui sont soumis à une quelconque répression et d’information » [12].

Les auteurs de cette remarque pointent sans doute ici l’une des principales différences entre des « groupes autonomes » et un « mouvement autonome » .

Dans le numéro 83 de Front Libertaire (25 janvier 1978), l’OCL revient sur la tentative de rassemblement autonome à Strasbourg du week-end des 21 et 22 janvier. Organisé à l’initiative de Marge, ce rassemblement a été boycotté par Camarades qui en dénonçait le caractère parachuté et inorganisé [13]. L’OCL titre alors son éditorial : « Comment un échec organisationnel peut devenir une victoire politique » . Le déploiement de plusieurs milliers de policiers à Strasbourg a en effet empêché ce rassemblement contre l’espace judiciaire européen, mais pour les militants de l’OCL qui sont allés à Strasbourg ce week-end là, ce déploiement policier

« s’est retourné contre le pouvoir en provoquant localement des phénomènes de solidarité, tant de la part d’une partie de la population, outrée par l’occupation militaire sans précédent depuis la guerre, de la ville de Strasbourg, que de la presse locale et d’une partie des militants opposés à l’image des « autonomes » casqués et armés » .

Le pillage d’un restaurant sur l’autoroute par les autonomes parisiens escortés par la police sur le chemin du retour est ainsi présentée par ces militants comme l’une des principales victoires de ce week-end.

Au mois d’avril, les militants de l’OCL décident de quitter l’AG de Jussieu :

« nous avons quitté les AG parce que incapables de trouver les moyens de faire cesser le bordel et le leaderisme. A regret ! La structuration par groupes, l’unité des actions, semblent une bonne réponse, encore faudrait-il qu’ils existent, que ce soit des groupes de lutte ou des groupes affinitaires. Dans l’action, nous étions relativement uni(e)s ; mais les contradictions étaient trop fortes. (…) Le mouvement unitaire s’est décomposé dans sa multitude de sensibilités originelles » [14].

L’OCL se retranche alors sur sa propre coordination autonome, qui se réunissait déjà de manière hebdomadaire au local de l’OCL, au 33 de la rue des Vignoles, dans le 20e arrondissement de Paris [15].

Les militants de l’OCL restent aussi toujours très critiques à l’égard des pratiques du mouvement autonome :

« des actions mal préparées, se terminant par de petites catastrophes ou ne servant pas nos objectifs, engendrent un esprit défaitiste, difficile à éliminer par la suite. (…) La tactique des attentats demande aussi à être maniée avec précaution. Si l’attaque du S.O. du KCP [16] s’imposait comme une évidence, si l’attentat contre Fauchon [17] a été bien ressenti dans les entreprises, si les cocktails contre la SEMIREP de Paris 14ème s’inscrivaient dans une lutte [18], le risque est permanent que le spectacle prenne le pas sur une dynamique autonome ressentie par tous et par toutes ; l’utilisation de la violence pour la violence casse l’unité d’un mouvement dont les nuances sont souvent subtiles et contradictoires. Nous ne sommes pas contre l’action minoritaire, mais à condition de s’inscrire dans une dynamique. Des actions du style parasitages de manifestations, cassages de vitrines et autres, n’apportent rien de constructif, au contraire » [19].

Ce point de vue paru dans le numéro 90 de Front Libertaire et daté du 6 mai 1978 a en réalité été écrit quelques jours avant la manifestation du 1er mai. Ce jour là, le traditionnel défilé syndical de la CGT à Paris est fortement perturbé par la présence de 600 autonomes [20] qui transforment la manifestation en émeute : affrontements avec la police, cassage et pillage des vitrines du boulevard Beaumarchais. Pour un militant de l’OCL-Paris, ces débordements ont pris un caractère populaire et obligent donc, dans le numéro 91 de Front Libertaire (daté du 20 mai), à réviser quelques peu la position énoncée dans le numéro précédent :

« la manif du 1er mai a été autrement perçue » [21], « que le pillage – qui n’a pratiquement pas été le fait des autonomes – se fasse d’une manière aussi naturelle montrent qu’au-delà des appareils et de la conscience aliénée, il est possible, sur des bases radicales, d’enclencher une dynamique unitaire » , « il faut bien que quelques-uns commencent à réagir ! Il faut que ces bris, dérisoires en soi, expriment la volonté indiscutable de ne pas s’en laisser compter et de ne pas attendre plus longtemps pour agir (…) C’est peut-être à partir du dérisoire que se construira un mouvement et que se regrouperont les travailleurs et travailleuses qui veulent prendre en main leur vie quotidienne. L’effet produit peut être celui d’une dynamique » [22].

Contrairement à certains autonomes qui prônent un usage systématique de la violence, l’OCL veut promouvoir un usage au cas par cas qui puisse être en phase avec le mouvement social : un usage raisonné et pondéré de la violence considérée comme un moyen et non pas, comme on le verra par la suite dans la décomposition de la mouvance autonome au début des années 80, comme une fin en soi [23]

Le numéro 111 de Front Libertaire (4 juin 1979) est titré « Terrorisme d’Etat et « Parti combattant » contre l’action directe de masse » . Dans ce numéro, Front Libertaire publie un certain nombre d’extraits d’articles émanant de la presse autonome italienne et faisant la critique des Brigades Rouges. Ces articles permettent de démonter les accusations de la justice italienne à l’encontre du mouvement Autonome en insistant sur les différences tant politiques que pratiques qui séparent les Brigades Rouges du mouvement autonome. Mais on peut aussi se demander si le titre de la Une du journal ne s’adresse pas aussi à certains autonomes français au moment où Action Directe vient de faire son apparition, manière pour l’OCL de critiquer les velléités de créations de groupes de spécialistes de la lutte armée.

Mais en 1979, l’OCL traverse une grave crise interne. Cette crise oppose alors les militants parisiens à ceux de la province, lesquels ne se reconnaissent pas dans le mouvement autonome. Cette rupture entre les Parisiens et les provinciaux aboutit au mois de juillet à la fin de la parution de Front Libertaire (créé en 1970 à l’époque de l’Organisation Révolutionnaire Anarchiste (ORA)), le journal étant essentiellement réalisé par les militants parisiens. Le groupe de la région parisienne lance ensuite un nouveau journal au mois de novembre : « Les Insurgés » . Le titre de ce journal rappelle d’ailleurs le nom de l’ancien bulletin que l’ORA publiait entre 1967 et 1970 (« L’Insurgé » ). Puis, au début de l’année 1980, les militants parisiens quittent l’organisation pour se dissoudre dans la mouvance autonome. A partir de cette date, l’OCL ne fait donc plus partie de la mouvance [24].