Bandeau
Recherches anarchistes
Slogan du site
Descriptif du site
René Burget raconte...

Le deuxième mémoire s’arrête à 1968. Que s’est-il passé depuis ? Il est encore temps de solliciter les témoins de cette époque. Qui voudra bien s’atteler à la tâche ? En attendant, voici des extraits du témoignage du compagnon pacifiste René Burget qui entamait sa première année à l’université de Bordeaux I (Institut d’études politiques et faculté de droit en 1re année de licence de sciences économiques).

1968

« Auparavant j’avais suivi toutes mes études secondaires au lycée Michel-Montaigne de Bordeaux. […]
« Débarquant sur le campus flambant neuf de Talence-Pessac, j’avais donc l’avantage sur mes condisciples de connaître déjà près de 300 personnes, rencontrées à Montaigne. En dépit des orientations multiples et diverses de chacun, nous nous retrouvions avec plaisir au resto U, où nous nous présentions nos nouvelles relations d’étudiants.

« Pour améliorer la qualité des repas, une manifestation efficace défila dans les rues du centre ville avec à sa tête deux personnages remarquables doté de panneaux parlants : les 120 kg incontournables d’un chercheur sur l’Afrique Noire « Je mange chez moi », face à un copain squelettique de 1,90 m « Je bouffe au resto-U ».
« Contrairement à nos ami.e.s de pays étrangers ou d’autres départements (dont les DOM TOM), nous n’étions pas perdus dans cet environnement coupé de la ville, et nous indiquions comment accomplir diverses formalités, ou accompagnions volontiers les plus handicapés dans leurs démarches.

« Quittant la discipline du milieu scolaire, un souffle de liberté nous faisait tourbillonner de cours (choisis en fonction de nos affinités) en TP (présence obligée), de retrouvailles autour d’une boisson non alcoolisée à des découvertes socio-urbaines (visite de bars et piaules en ville, pique-nique en forêts de pins, travail avec polycopiés ou livres sur les plages sauvages de l’océan), de tournois endiablés de baby_foot, de jeux en tous genres…

« J’ai eu la chance de pouvoir perfectionner mes connaissances linguistiques avec des étudiantes américaines, ma culture géographique avec des Latinos (Chili, Panama), Africains (Haute-Volta, Sénégal), Asiatiques (Afghanistan, Oman), sans oublier les Antillais, Réunionnais et Kanaks… Et, parallèlement, de mener des revues de presse instructives, de maîtriser rapidement l’illusoire droit constitutionnel (conduisant aux manipulations électoralistes et aux bourrages d’urnes). J’ai bénéficié d’une première approche des théories anarchistes à cause d’un exposé sur Proudhon (sur lequel j’ai travaillé pendant plusieurs mois : ayant souvent un des volumes reliés de ses œuvres complètes avec moi, j’étais surnommé « Pierre-Joseph »). Parallèlement, Jean Dubuffet et Tristan Tzara ont élargi ma vision du devoir d’irrespect. […]

« Le plus fréquenté de tous les cours dispensés à l’IEP était celui de Jacques Ellul sur l’histoire des idées politiques. Son intelligence, sa gentillesse et son écoute nous ont fortement marqués. Au point qu’un bébé-requin de notre promotion, le chiraquissime Denis Tillinac fit republier en 2004, par sa maison d’édition La Table ronde, le livre « Anarchie et christianisme », préalablement édité par l’Atelier de création libertaire. Saluons au passage Jean-Luc Porquet, aussi ancien élève, pour avoir écrit, plus récemment, un livre bienvenu sur Ellul L’homme qui avait (presque) tout prévu !

« Survient alors dans ce climat édénique le mouvement du 22 mars. Il est vrai que l’accès aux résidences des étudiantes nous était pratiquement interdit. Ceci nous obligeait à des exploits sportifs et de débrouillardise pour franchir ce pas vers la mixité. Le printemps aidant, nous ne supportions plus ces atteintes à notre droit d’adultes à circuler librement et à partager sans entraves de précieux moments d’intimité.

« Tonton Sigmund aurait beau jeu de prouver que se tenait là la racine de notre révolte. Tant pis pour lui, c’était W[ilhelm] R[eich] que nous dévorions pour mieux comprendre nos frustrations, dans une société en pleine émancipation en matière de procréation choisie.

Explosions

« Avec la répression des mouvements étudiants de mai 68, se développent une prise de conscience de classe et de forts élans de solidarité sur le campus : des piquets de grève et des occupations des locaux universitaires.

« Nous nous organisons en commissions (sécurité, propagande, intendance, etc.). Je me retrouve à la commission « affiches » où, en trois jours et trois nuits intenses, nous produisons 400 posters avec des slogans et visuels différents (tous visant à faire sourire).

« Nous aussi nous avons vécu une nuit d’émeute entre le cours Victor-Hugo et la place Pey-Berland. Les ébauches de barricades ont été vite balayées et après quelques échauffourées (jets de pierre contre gaz lacrymogène) une charge de CRS balaya le tout, puis procéda à l’arrestation au hasard d’une dizaine de manifestants.

« Le lendemain la mobilisation se durcit sur le campus, ce qui fit relâcher nos amis par des policiers sous la pression des bourgeois locaux. Par ailleurs, ils semblaient affolés par les sanctions pour vice de forme (commis à la chaîne lors de ses interpellations nocturnes, hâtives et aveugles).

« Au cours des mois de mai et de juin, nous assistons à une véritable explosion de la parole et, d’un réseau de 300 ami.e.s, je passe à plus de 3 000, avec lesquels les échanges sont passionnés et interminables…
« Le campus ne sera pas violé par les forces de l’ordre, et les examens auront lieu dans un climat détendu, voulu par la majorité des professeurs et assistants (grâce au mouvement étudiant, leurs problèmes « corporatifs » faisaient la une des médias).

« Le général Charles de Gaulle II (élu au suffrage universel en 1965) avait eu la peur de sa vie de vieillard et, au lieu de se réfugier à Londres, il chercha le réconfort auprès du général Massu, chef des troupes françaises occupant l’Allemagne de l’Ouest.

« De retour au palais de l’Élysée, après les accords de Grenelle, il balance l’idée de la participation des étudiants à la gestion des établissements universitaires : à la lecture des textes, il ne s’agissait que d’une caution par des étudiants élus de la gestion des universités.

« Dès la rentrée 1968-69, les 2e année de l’IEP lancent le YEP, dans le but de continuer à insuffler l’esprit d’insoumission que nous avions goûté au printemps.

« Le YEP se dote de statuts anti-autoritaires, et bataille pour disposer d’un panneau d’affichage. Lors des premières élections étudiantes, trois candidats de la liste YEP seront élus et participeront plus ou moins sagement à cette cogestion, pour réaliser jusqu’à quel point la bêtise était la chose la mieux répandue, à l’IEP comme ailleurs.

« En 69-70, étudiants de 3e année, nous décidons de présenter trois listes pour le boycott des élections étudiantes des divers collèges au CA de l’IEP.

« La première se définissait comme « Antiyep » (1 élu). « Girlcott », la seconde composée uniquement de filles, fit un tabac avec 3 élues. « Clitoriss » (Comité de liaison intellectuel travailleur pour un orgasme régulier et indemnisé par la sécurité sociale) réjouit profondément les potaches (2 élus).
« Le lendemain des résultats, tous démissionnent, à la colère du directeur de l’IEP, qui se retrouve face à un lèche-cul du Resp (Rassemblement des étudiants en sciences politiques) et à quelques représentants des enseignants.

« Quelques joyeuses fêtes et délires verbaux plus tard, à la rentrée 1971, le Yep était enterré, faute de relais auprès des nouvelles promotions de l’IEP, au grand soulagement d’Albert Mabileau, le piètre directeur de cet institut. »
R. B.