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Recherches anarchistes
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2 LA BROCHURE « LA CFDT ET LE SYNDICALISME REVOLUTIONNAIRE »
René Berthier

9.

Elle évoque un certain nombre de structures de la CFDT qui développaient les thèmes syndicalistes révolutionnaires et participaient de la tendance « SR » de la CFDT. L’auteur de cette brochure occulte deux faits : la tendance « SR » de la CFDT était en fait constituée d’anarcho-syndicalistes ; tous les exemples qu’il donne de présence « SR » dans la CFDT révèlent en fait la présence de l’Alliance syndicaliste.

La section syndicale de la SEP, près de Bordeaux, était très implantée et animée par des copains de l’Alliance. L’union départementale de la Gironde, dissoute par la direction confédérale, était également animée par des camarades de l’Alliance.

Interview de Jacky Toublet par Franck Poupeau :

« Dans la région de Bordeaux, un groupe de copains qui travaillaient à la Société européenne de propulsion (SEP) décidèrent de quitter FO, ce qui n’améliora guère les relations avec ceux qui s’y appelaient anarchosyndicalistes, et de s’affilier à la CFDT. De proche en proche, ces copains réussirent une implantation dans les Métaux et d’autres secteurs, comme l’Enseignement. Puis quelques-uns d’entre eux obtinrent des responsabilités à l’UD-CFDT de la Gironde et dans son bureau.

« Il est évident que, une fois membres du bureau de l’UD de Gironde, les camarades ont commencé un travail de sensibilisation sur divers thèmes du syndicalisme révolutionnaire, les revendications, évidemment, mais aussi sur le contenu de l’autogestion — mot d’ordre officiel de la CFDT depuis son congrès de 1970 — et de l’indépendance, alors qu’on commençait à y parler d’ “ autonomie engagée ” avec le Parti socialiste ; la majorité de la direction de la centrale commençait alors son inflexion pour essayer d’amener l’énorme masse de nouveaux adhérents, presque un demi-million peut-être, plus ou moins influencés par les idées de 68, vers la version syndicale de la démocratie chrétienne, qui était, comme on a pu le constater plus tard, son idéologie réelle, en tout cas de ceux qui, autour d’Edmond Maire et de la direction de la Chimie, allaient conduire le tournant droitier. Les deux démarches ne pouvaient que se heurter… En plus, à plusieurs reprises, les copains avaient diffusé des tracts antimilitaristes dans les gares lors des départs des appelés du contingent. Bon, en tout cas, vers 1976, à un moment que je ne saurais vous préciser plus, la direction de la centrale a dissous le bureau de l’UD, et renvoyé les militants dans leur syndicat d’origine. Dans le même temps, le copain délégué syndical de la SEP, Vladimir Charov, fut licencié, avec l’accord du ministère du Travail. Evidemment, nous avons fait le maximum de bruit autour de l’affaire. Peine perdue : la direction se moquait de tout ce qu’on pouvait dire, avec encore plus de mépris que les “ stals ” — et les autres courants d’extrême gauche, comme souvent durant ces années-là, voyaient l’exclusion de quelqu’un d’une chapelle voisine comme la disparition d’une concurrence. Ainsi les “ cathos ” ont pu appliquer sans trop de difficultés la bonne vieille technique du salami à presque toute leur opposition. » (Archives J. Toublet.)

Il y avait de nombreuses sections syndicales CFDT à Paris ou en banlieue dans lesquelles les militants de l’Alliance jouaient un rôle important, dans les grands magasins, dans les assurances, dans les banques, notamment à la BNP, dans le secteur de l’alimentation.

J’ai moi-même été secrétaire adjoint du syndicat des intérimaires, adhérent à la fédération du commerce, où nous avions des camarades. C’était, je crois, le seul syndicat qui publiait un mensuel en vente militante dans la rue, à une époque où le travail intérimaire explosait.

L’union locale du 8-9e, particulièrement active, était animée par des militants de l’Alliance. Je peux dire très précisément comment s’est passée l’affaire de l’affiche qui a déclenché la dissolution de l’union locale. A l’époque, je n’étais plus à la CFDT, j’étais à la CGT. J’étais passé voir les copains de l’union locale, qui étaient en train de préparer une affiche contre le rapprochement de la CFDT et du PS, et ils voulaient y mettre une illustration. C’est moi qui ai fait le dessin sur le stencil, représentant un patron sur le dos d’un ouvrier, avec la légende « comme ton patron, adhère au PS ». Rétrospectivement, ce n’était bien sûr pas très malin, voire même un tantinet irresponsable. Mais il faut comprendre le contexte : les copains en avaient marre du matraquage pro-PS de la direction confédérale, et par ailleurs ils savaient bien que leur liberté d’action était comptée. Ils étaient dans la ligne de mire.

Evidemment, le dessin n’a pas plu...

« Dans la région parisienne, l’Alliance avait quelques militants dans les services à Paris, qui créèrent une union locale CFDT dans les 8e et 9e arrondissements, laquelle fut assez rapidement dissoute par la confédération, vers 1976 : il y avait des licenciements d’employés à Montholon — le siège de la CFDT d’alors¬ — auxquels l’union locale voulait s’opposer. En outre, l’Union locale avait placardé dans tout l’arrondissement une affiche avec le texte suivant : “ Contre le chômage, fais comme ton patron, adhère au PS ”.

« Quelques camarades de l’Alliance militaient aussi à l’UL-CFDT du 10e ; pendant le conflit du “ Parisien libéré ”, de 1975 à 1977, ils donnèrent divers coups de main aux copains du Livre.

« Dans les Hauts-de-Seine, dans les années qui suivirent immédiatement 68, l’Alliance et l’ORA, qui fonctionnaient ensemble dans ce secteur, obtinrent une bonne implantation, en particulier dans le secteur interprofessionnel, à partir des services, des enseignants et des métaux. Je me souviens qu’un camarade se déclarant libertaire, Gérard Mulet, qui fut secrétaire de l’Union départementale (UD), à Boulogne, se réjouissait que chacune des UL du département possédait un équipement technique et un collectif militant qui lui permettaient de soutenir activement les mouvements locaux. En outre, nous avions réussi à faire embaucher à l’UD, comme permanent technique, un vieux camarade espagnol, Antonio Barranco, qui se chargeait, entre deux tirages de tracts sur la machine offset du sous-sol, de la formation syndicaliste improvisée des militants qui venaient chercher du matériel…

« Dans le Val-de-Marne, le secrétaire de l’UD, Jacques Blaise, était sympathisant de l’Alliance ; il fut de tous les combats de l’Alliance et les militants de l’Alliance lui apportèrent tout le soutien possible dans les luttes du département ; je me souviens, en particulier, de la reprise de la production, durant une grève, d’une usine de fabrication de biscuits…

« Un des militants fondateurs de l’Alliance, Serge Aumeunier, ingénieur à l’Aérospatiale, fut longtemps trésorier de l’Union parisienne des syndicats des métaux (UPSM) de la CFDT. Serge et quelques-uns de ses copains, après qu’ils eurent été décentralisés aux Mureaux, firent un gros travail dans l’UD des Yvelines et les UL de la vallée de la Seine. (N’oubliez pas qu’à l’époque, à Simca-Poissy, régnait un syndicat maison plus ou moins fasciste, la CFT.) Le secrétaire et l’employée du Syndicat du bâtiment local, Robert Simonet et Amy Braun, étaient adhérents de l’Alliance.

« Dans la Santé et le Social, l’Alliance avait beaucoup de contacts et quelques militants, Elisabeth Claude, par exemple ; la plupart de ces derniers sont aujourd’hui à Sud-CRC-Santé-Social.

« Enfin, à partir des quelques correcteurs adhérents de l’Alliance, René Berthier, Alain Pécunia, Thierry Porré, Pascal Nürnberg et moi-même, nous eûmes quelques rares contacts dans le Livre, CGT ou CFDT. » (Jacky Toublet, interview de Franck Poupeau, archives J. Toublet.)

La section PTT Lyon gare, mentionnée également, était animée par des militants de l’Alliance .

« Une autre exclusion a été très significative de cette situation. Dans le courant de l’année 1978, une grande manifestation fut organisée contre le surgénérateur de Creys-Maleville ; une section de la CFDT de Lyon de la poste, à Lyon-Gare, c’est-à-dire les postiers qui travaillent dans les trains, a été exclue parce qu’elle y avait participé. Beaucoup de membres de l’opposition, et toute l’Alliance syndicaliste, se sont mobilisés pour s’y opposer, sans résultat. Malgré les appels, les prises de position de nombreuses structures, est apparue à cette occasion la confirmation que la CFDT expulserait de ses rangs tous les militants de l’extrême gauche qui s’exprimeraient dans la confédération. Se fit sentir, dès cette époque, l’absence d’un recours syndical, la possibilité de s’organiser syndicalement après l’exclusion — par exemple, les copains de Lyon-Gare constituèrent un syndicat autonome, le Syndicat autogestionnaire des travailleurs (SAT). Puis, après quelques années, une partie du syndicat adhéra à la CNT. Qui, à l’époque, était minuscule. Mais les copains éprouvèrent le besoin d’être confédérés, de travailler avec des camarades d’autres secteurs industriels. Dans un syndicat autonome, sur un secteur, une ou plusieurs entreprises, on s’essouffle très vite si on n’est pas un corporatiste forcené…

« On voit combien l’échec de la construction de la CNT dans l’immédiat après-guerre a pu avoir des conséquences néfastes ; si les anarchosyndicalistes, au lieu de se disputer au sujet d’abstractions diverses, avaient eu la conscience révolutionnaire de constituer une organisation syndicale minimale, et suffisamment connue, même de quelques milliers de membres, ils auraient pu offrir ce recours à tous les syndicalistes combatifs qui se sont fait expulser des grandes confédérations après 1968. » (Jacky Toublet, interview de Franck Poupeau, archives J. Toublet.)

En banlieue parisienne, l’union départementale des Hauts-de-Seine et celle du Val-de-Marne étaient animées par des militants de l’Alliance.

Je ne veux en aucun cas dire que tous les exemples de pratique libertaire ou anarcho-syndicaliste qui pouvaient exister à l’époque dans la CFDT relevaient de l’Alliance ; je veux seulement dire que l’Alliance avait un journal, des archives, des militants connus, grâce à quoi l’auteur de la brochure que j’ai mentionnée a pu recenser un certain nombre de pratiques, mais que d’autres exemples lui ont peut-être échappé parce qu’il n’y avait pas de traces.

D’autres structures étaient animées par des militants libertaires, sans aucun lien avec l’Alliance. Un jour, en tant que secrétaire du syndicat des intérimaires, j’étais allé rencontrer des responsables de l’UL de Vitry parce qu’il y avait des intérimaires dans les grosses boîtes du coin (Rhône Poulenc, je crois) et nous voulions faire une réunion de sensibilisation. Les intérimaires étaient à l’époque très mal perçus par les salariés des entreprises et très peu pris en compte par les syndicats. L’UL de Vitry était une union locale très active ; nous nous mîmes d’accord pour organiser une réunion, et ses animateurs me remirent une plaquette, « Pour une stratégie syndicale révolutionnaire ». C’étaient des syndicalistes libertaires.

Je pense qu’il devait exister à l’époque dans la CFDT pas mal de structures qui, indépendamment de l’Alliance, avaient développé des positions proches des nôtres. Ceux de nos camarades qui participaient aux congrès rencontraient constamment des militants qui, n’ayant en général aucun lien avec le mouvement libertaire, développaient des positions proches de l’anarcho-syndicalisme. Cette fermentation, en s’étendant, devenait dangereuse pour la direction confédérale et c’est cela, je pense, qui a conduit celle-ci à prendre des mesures de recentrage. En 1975, les ENO (Ecoles normales ouvrières) destinées à l’appareil permanent ont pour thème : « L’anarcho-syndicalisme : comment le combattre ». Les exclusions des structures « contaminées » vont alors se succéder : 1976, UL 8/9 Paris ; 1977, UD 33, Lyon-Gare ; 1978, BNP Paris ; 1979, Usinor-Dunkerque, la plus grosse section ouvrière de la CFDT, etc. Un formidable gâchis de militants.

Les militants de la Ligue communiste, trop contents de se débarrasser des libertaires, ont à l’époque bien aidé la direction confédérale.

Il faut préciser que jamais l’Alliance ne s’est imaginée que la direction confédérale CFDT allait « intégrer » les thèmes libertaires. Les premiers articles de Solidarité ouvrière montrent bien l’absence totale d’illusion sur cette question. Les militants de ne faisaient pas de « patriotisme d’organisation », ce qu’ils reprochaient à certains – pas tous – de leurs camarades de FO

En fait, je constate en lisant la brochure que toutes les entreprises ou toutes les instances syndicales où il est fait état d’une « activité SR », sont des entreprises ou structures dans lesquelles les militants de l’Alliance avaient une influence prépondérante, mais qu’il y avait des activités « SR » dans d’autres entreprises, dont la brochure ne parle pas. Il y avait par exemple chez Renault à Billancourt un noyau extrêmement actif de militants dont l’un des animateurs était un certain Jean-Pierre Graziani. Il animait le Groupe culturel Renault qui éditait textes et poèmes ouvriers, dont les siens. Le chanteur François Béranger, alors salarié de Renault, en faisait partie. Nous sommes restés en contact un moment puis nous nous sommes perdus de vue. Le problème, lorsque des groupes de ce type existaient et lorsqu’ils étaient actifs, c’est qu’ils concentraient souvent leur activité au niveau de leur entreprise ou de l’union locale et il était extrêmement difficile de les convaincre de la nécessité de s’organiser, en tant que libertaires, à un niveau plus large.