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Recherches anarchistes
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Introduction
les femmes de lettres dans la presse anarchiste française (1885-1905)

OÙ SONT LES FEMMES DANS L’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE L’ANARCHISME ?

En juillet 1899, Alice Canova fait paraître dans le périodique anarchiste L’Homme libre un article dans lequel elle insiste sur l’importance de l’écriture pour propager les idées révolutionnaires. Intitulé « Les bons semeurs », cet article distingue les écrivains en quête de reconnaissance sociale de ceux qui se servent de l’écriture pour « soulever les foules contre la double autorité de la force brutale et de la persuasion ». Quelques mois plus tard, elle revient à nouveau sur cette idée en désignant l’écriture comme un outil susceptible de « renverser une société mauvaise en conduisant les foules opprimées sur le chemin de leurs droits. » En cette fin du XIXe siècle, Alice Canova n’est pas la seule femme à accorder un pouvoir révolutionnaire – voire messianique – à l’écriture. Louise Michel promettait déjà, en 1886, une collaboration active à La Révolution cosmopolite afin que « le choc des idées ardentes déchaînnent sur le vieux monde le cyclone qui lavera la terre ! » Plus tard, Sophie Zaïkowska prendra également la plume dans La Vie anarchiste pour interroger le rôle politique de l’écrivain. Dans l’article « Pourquoi je suis anarchiste », elle juge les écrivains qui savent « si bien nous charmer par leurs plumes » pour mieux entretenir les « préjugés dans l’imagination populaire ». À l’instar des hommes anarchistes de leur temps, les femmes réfléchissent au pouvoir de l’écriture et adoptent des pratiques d’écriture par lesquelles elles tentent de donner forme à leur propre idéal de propagande. Ces quelques exemples, tirés de la presse anarchiste, témoignent de l’importance que les femmes accordent à l’écriture dans le cadre du processus révolutionnaire.

Lorsque l’on parcourt les histoires littéraires de l’anarchisme, les femmes semblent toutefois avoir été absentes de cette mouvance politique et culturelle. Dans son Histoire de la littérature libertaire en France, qui constitue une référence incontournable sur la littérature anarchiste publiée en volume, Thierry Maricourt s’intéresse surtout aux personnalités et aux pratiques masculines. Dans la section consacrée aux portraits d’auteurs, seules deux femmes figurent parmi la vingtaine d’hommes évoqués, soit Séverine et Louise Michel. La notice qui porte sur Louise Michel met en lumière son militantisme plutôt que sa production littéraire, à laquelle il accorde par ailleurs une faible valeur. L’historien considère que Louise Michel « est apparemment plus à l’aise lorsqu’elle ne s’essaie pas à la fiction », allant même jusqu’à avancer que l’œuvre littéraire de l’anarchiste est plutôt décevante ». Il estime néanmoins que la vie de la militante « s’inscrit avec force dans l’histoire des luttes ouvrières de la fin du XIXe siècle8. » Cette thèse est née d’une volonté d’aller mesurer l’apport réel des femmes à la vie littéraire anarchiste du XIXe siècle. L’hypothèse qui sous-tend notre recherche est que les femmes ont contribué à l’évolution des discours et des pratiques d’écriture anarchistes en empruntant d’autres voies que celle de la publication en volume. Ainsi, nous entendons rendre visible la production textuelle des femmes qui ont, à un moment de leur trajectoire, croisé la presse anarchiste.

La production de textes signés par des femmes dans la presse anarchiste se situe au croisement des pratiques militantes et des pratiques lettrées. Deux facteurs expliquent la présence significative des femmes au sein de la presse anarchiste. Au XIXe siècle, nous savons que la presse moderne participe à l’essor de la publication féminine. L’avènement de la presse périodique, tant en France qu’en Angleterre, encourage l’entrée des femmes sur la scène culturelle et, plus particulièrement, dans le monde des lettres. Elle instaure en effet de nouvelles modalités d’écriture – brièveté, périodicité, salaire à la livraison – qui accélèrent leur intégration à une industrie culturelle en plein développement. La presse favorise l’investissement des femmes dans la vie littéraire par le biais d’une activité journalistique grâce à laquelle elles convertissent les compétences qu’elles ont acquises dans le privé, notamment à travers l’apprentissage des modèles d’écriture transmis par l’institution scolaire. À une époque où le métier de journaliste n’est pas encore professionnalisé, la presse ouvre aux femmes de nouveaux horizons puisqu’elles n’ont pas besoin d’une formation intellectuelle préalable pour venir y exercer leur plume. La presse représente en ce sens une porte d’entrée pour les femmes qui souhaitent mener des trajectoires littéraires intéressantes et intégrer les réseaux culturels de leur époque.

De plus, la presse joue un rôle de premier plan pour l’ensemble du mouvement anarchiste. Si l’écriture constitue un outil indispensable pour l’élaboration et la transmission de la pensée anarchiste, c’est la presse qui se présente comme le principal vecteur de la propagande par l’écrit. La presse anarchiste permet au mouvement de s’inscrire dans l’actualité politique en instaurant un rythme régulier d’écriture et de lecture. Au-delà des nouvelles visant à informer les lecteurs sur les activités organisées par les groupes militants, les périodiques donnent naissance à une véritable littérature qui traduit les préoccupations du mouvement. Caroline Granier démontre en effet comment le développement de la littérature anarchiste est indissociable de la presse, qui opère des rapprochements inédits entre écrivains et militants . À travers la diffusion d’un ensemble de textes hétérogène, qui regroupe autant des articles journalistiques et que des écrits littéraires, les périodiques anarchistes apparaissent comme des lieux de réflexion et d’échange qui mettent en place une communauté d’auteurs et de lecteurs. De plus, ils partagent un intérêt commun pour les débats littéraires en créant des espaces critiques, notamment des chroniques littéraires, qui viennent accorder un sens aux pratiques et aux discours libertaires. Que ce soit du point de la création ou de la critique, ces périodiques négocient constamment leur rapport à l’institution littéraire en participant au remodelage des formes et des conceptions du littéraire13. À l’instar des hommes, les femmes investissent donc la presse pour mettre en forme un imaginaire où s’entremêlent littérature et politique. État des travaux Avant de revenir sur les différentes étapes et les principaux objectifs de notre recherche, il importe d’abord de présenter une synthèse des travaux qui ont été menés jusqu’à présent sur la littérature anarchiste et sur les femmes engagées au sein du mouvement. Ce panorama vise à replacer cette thèse dans le contexte des études actuelles dans lesquelles s’inscrivent les deux grands axes de notre recherche : la littérature anarchiste et l’histoire des femmes. 12 Caroline Granier, Les Briseurs de formules. Les écrivains anarchistes en France à la fin du XIXe siècle, Coeuvres-et-Valsery, Ressouvenances, 2008, p. 441. Cet ouvrage est une version remaniée de sa thèse, soutenue à l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis en 2003. 13 Il s’agit du socle sur lequel repose l’analyse déployée par Vittorio Frigerio dans son essai La Littérature de l’anarchisme : anarchistes de lettres et lettrés face à l’anarchisme. 5 Études littéraires sur l’anarchisme Depuis une quarantaine d’années, de nombreuses études se sont penchées sur la place de l’anarchisme dans la vie culturelle française à la fin du XIXe siècle. Nous retenons ici celles qui portent plus précisément sur les rapports entre littérature et anarchisme. La plupart d’entre elles focalisent sur la production fictionnelle des écrivains, anarchistes ou sympathisants, publiée au cours de la décennie 1890. Elles s’intéressent le plus souvent aux relations complexes qui se sont tissées entre les milieux de l’avant-garde littéraire et les cercles anarchistes. Après la parution de l’ouvrage fondateur de Thierry Maricourt publié en 199014, un regain d’intérêt pour l’anarchisme se manifeste au sein des études littéraires. En 1998, Alain Pessin et Patrice Terrone codirigent l’ouvrage Littérature et anarchie, rassemblant une trentaine de textes qui portent sur l’oeuvre de différents écrivains et militants anarchistes. Cet ouvrage présente un large éventail des formes littéraires plurielles par lesquelles les anarchistes ont exprimé leurs idéaux de révolte. Aucune femme ne figure cependant parmi les auteurs étudiés. Un an plus tard, la Revue d’Histoire littéraire de la France fait paraître un dossier intitulé « Anarchisme et création littéraire ». Encore une fois, la production littéraire des femmes est passée sous silence au profit d’études consacrées à des écrivains dont les liens avec l’anarchisme sont parfois ténus – Anatole France et Stéphane Mallarmé par exemple. La revue québécoise Études littéraires fait quant à elle paraître, en 2010, un numéro sur l’anarchisme dirigé par Sébastien Veg. Les contributions portent non seulement sur des auteurs français, mais également sur des écrivains issus de différentes traditions littéraires notamment chinoise, hongroise et russe. Dans ce panorama, les femmes n’y trouvent toujours pas leur place. Nous 14 Notons que cet ouvrage est publié un an après la parution de l’étude Anarchism and Cultural Politics in Fin de Siècle France, signée par Richard Sonn. L’historien démontre comment l’anarchisme joue un rôle important dans la société française, au point de constituer une sous-culture cohérente qui englobe les milieux populaires et lettrés. 6 pouvons en ce sens penser que les études littéraires sur l’anarchisme tendent à « reproduire les espaces physiques du mouvement15 » en marginalisant les femmes. La plupart de ces études ont en commun de privilégier les oeuvres publiées en volume ou les écrivains qui ont collaboré aux revues littéraires de l’avant-garde. Or la production textuelle des femmes semble avoir circulé par des espaces de diffusion moins consacrés que les maisons d’édition et les revues littéraires prestigieuses. Des études plus récentes sur les rapports entre littérature et anarchisme viennent d’ailleurs corroborer cette idée. Dans sa thèse « Nous sommes des briseurs de formules » : les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle », Caroline Granier retrace la production fictionnelle des écrivains anarchistes publiée à la fin du XIXe siècle. Non seulement elle s’intéresse aux oeuvres parues en volume, mais elle se penche également sur les textes de fiction ayant circulé dans la presse anarchiste. En revalorisant les écrits diffusés dans les journaux de propagande et dans les revues littéraires, elle parvient du même coup à exhumer des textes signés par quelques femmes dont elle brosse le portrait. En plus de Louise Michel, d’autres femmes apparaissent désormais dans les réseaux littéraires et politiques de l’anarchisme : la romancière André Léo, la chansonnière Louise Quitrime, la journaliste Séverine et la dramaturge Véra Starkoff. Pour la première fois, des textes de femmes sont étudiés de manière sérieuse en montrant en quoi ils sont porteurs d’une sensibilité anarchiste. La collaboration journalistique de plusieurs femmes est d’ailleurs évoquée, venant ainsi confirmer notre intérêt de retourner à la presse anarchiste pour y retrouver des écrits féminins. Plus récemment, Vittorio Frigerio a fait paraître un essai intitulé Nouvelles anarchistes : la création littéraire dans la presse militante (1890-1946), dans lequel il étudie le genre de la nouvelle littéraire tel qu’il a été pratiqué par les anarchistes dans la presse militante. Il accorde de la visibilité à deux femmes, soit Fanny Clar et une 15 Judy Greenway, « The Gender Politics of Anarchist History : Re/Membering Women, Re/Minding Men », PSA, Édimbourg, avr. 2010. Récupéré de : http://www.judygreenway.org.uk/wp/the-genderpolitics- of-anarchist-history-remembering-women-reminding-men/. (traduction libre) 7 certaine Lucie de la rue Monge, sur la cinquantaine de nouvellistes dont les écrits sont reproduits. Aussi faible soit-il, ce nombre prouve néanmoins que des femmes ont investi l’univers de la fiction pour donner corps à leurs idées anarchistes. Histoire des femmes et historiographie littéraire féministe En parallèle des études littéraires sur l’anarchisme, les recherches en histoire des femmes nous ont permis de redécouvrir certaines femmes qui ont été liées, de près ou de loin, au mouvement anarchiste. Nous pensons notamment aux biographies de Louise Michel, signées par Édith Thomas et Xavière Gauthier16. Il s’agit aussi de celles d’André Léo qui portent à la fois sur sa trajectoire et sur son oeuvre17. Nous connaissons désormais les sensibilités libertaires d’Alexandra David-Néel et de Nelly Roussel grâce à des historiennes qui se sont penchées plus largement sur leur vie et sur leurs activités intellectuelles18. Le Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone, fruit d’une collaboration active entre différents historiens, comporte un dictionnaire entièrement consacré aux femmes19. Diffusé en ligne, ce dictionnaire répertorie une quantité massive de notices biographiques qui portent autant sur des femmes connues que sur des militantes oubliées du mouvement ouvrier. Parmi ces femmes, nous retrouvons plusieurs militantes, oratrices, femmes de lettres et journalistes, qui ont été engagées dans le mouvement anarchiste. Plusieurs études nous permettent également de replacer collectivement les femmes dans les groupes anarchistes de leur époque, 16 Édith Thomas, Louise Michel ou la Velléda de l’anarchie, Paris, Gallimard, coll. « Leurs figures », 1971 ; Xavière Gauthier, La Vierge rouge. Biographie de Louise Michel, Paris, Éditions de Paris, 1998. 17 Alain Dalotel, André Léo (1824-1900), la Junon de la Commune, Chauvigny, Association des publications chauvinoises, 2004 ; Frédéric Chauvaud, François Dubasque, Pierre Rossignol et Louis Vibrac (dir.), Les Vies d’André Léo, romancière, féministe, communarde, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Archives du féminisme », 2015 ; Françoise Tarrade, André Léo. Une femme entre deux luttes, socialisme et féminisme, Villers Cotterêts, Ressouvenances, 2020. 18 Sur Alexandra David-Néel, voir Joëlle Désiré-Marchand, Alexandra David-Néel, passeur pour notre temps, Paris, Le Passeur, 2016. Sur Nelly Roussel, voir Elinor Accampo, Blessed Motherhood. Bitter Fruit. Nelly Roussel and the Politics of Female Pain in Third Republic France, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006. 19 Ce dictionnaire est disponible à l’adresse suivante : https://maitron.fr/spip.php?mot18. 8 notamment celle d’Anne Cova sur les néomalthusiennes20 et celle d’Anne Steiner sur les militantes liées à l’anarchisme individualiste 21 . Toutes ces études s’avèrent indispensables pour comprendre les trajectoires sociales et politiques des femmes. Mais il faut toutefois se tourner vers l’historiographie littéraire féministe pour en apprendre davantage sur leur activité littéraire. De nombreuses rééditions critiques des oeuvres littéraires de Louise Michel ont vu le jour aux Presses universitaires de Lyon qui consacrent une collection complète à l’auteure. Claude Rétat a également fait paraître des éditions critiques de plusieurs romans écrits par l’anarchiste 22 . Grâce aux projets menés par les membres de l’Association André Léo, nous pouvons maintenant lire plusieurs romans de l’écrivaine, dont Aline-Ali et Le Père Brafort. Des études ont également examiné la pratique de certains genres littéraires chez les femmes de lettres associées au mouvement anarchiste. Les pièces de théâtre de Louise Michel, Nelly Roussel et Véra Starkoff, ont été étudiées par Cecilia Beach à partir d’une perspective de genre23. Certaines de leurs pièces ont également été rééditées grâce à un travail de recherche colossal effectué par Jonny Ebstein, Philippe Ivernel, Monique Surel-Tupin et Sylvie Thomas sur le théâtre anarchiste24. Ces recherches ont permis de réhabiliter et de relire les oeuvres littéraires de femmes ayant misé sur l’écriture pour interroger les enjeux politiques de leur temps. Une part importante des écrits féminins qui s’inscrivent dans une mouvance libertaire reste toutefois encore à redécouvrir, puisqu’elle sommeille dans la presse anarchiste. 20 Anne Cova, Féminismes et néo-malthusianismes sous la IIIe République : « La liberté de la maternité », Paris, L’Harmattan, 2011. 21 Voir notamment Anne Steiner, « Les militantes anarchistes individualistes : des femmes libres à la Belle Époque », Amnis. Revue d’étude des sociétés et des cultures contemporaines Europe-Amérique, numéro 8, 2008. Récupéré de : https://journals.openedition.org/amnis/1057. 22 Ces ouvrages sont référencés dans la bibliographie. 23 Cecilia Beach, Staging Politics and Gender : French Women’s Drama, 1880-1923, New York, Palgrave Macmillan, 2005. 24 Jonny Ebstein, Philippe Ivernel, Monique Surel-Tupin, et Sylvie Thomas (dir.), Au temps de l’anarchie, un théâtre de combat (1880-1914), 3 tomes, Paris, Séguier Archimbaud, 2001. 9 Méthodologie Les écrits féminins étudiés dans le cadre de cette thèse sont le fruit d’un long processus de recherche, basé sur le dépouillement d’une masse importante de publications anarchistes. Quelques remarques préliminaires s’imposent avant de présenter les principales étapes de la recherche. Il importe d’abord de préciser que ce sont les publications anarchistes qui nous intéressent et non les femmes anarchistes au sens strict. Nous souhaitons retrouver les femmes qui ont, à un moment de leur trajectoire, collaboré à ces publications plutôt que de focaliser sur celles qui auraient eu des positions anarchistes confirmées. Non seulement les convictions politiques de chacune des femmes restent difficiles à cartographier, mais plusieurs d’entre elles ont été liées aux réseaux politiques et littéraires de l’anarchisme sans afficher ouvertement des allégeances partisanes. Par ailleurs, nous nous intéressons moins aux femmes de lettres d’origine française qu’à celles dont les textes sont diffusés par le biais d’organes de presse d’expression francophone, situés en territoire français. Dans le souci de respecter la philosophie antinationaliste de l’anarchisme, traduisant une visée internationaliste très forte dans la seconde moitié du XIXe siècle, nous entendons mettre au jour l’apport des femmes à une tradition littéraire française de l’anarchisme qui s’étend pourtant au-delà des frontières nationales de la France. Les publications que nous avons répertoriées constituent des espaces de sociabilité qui ont mis en forme, de manière plus ou moins explicite, un discours antiautoritaire constituant la marque distinctive de l’anarchisme25. Qu’elles s’inscrivent dans un courant anarcho-communiste, syndicaliste ou individualiste, les publications qui ont retenu notre attention sont celles qui énoncent une critique antiautoritaire de la société bourgeoise capitaliste. La plupart du temps, nous préférons le substantif anarchiste à celui de libertaire, puisque le premier permet d’insister sur la critique à la 25 Irène Pereira, Anarchistes, Montreuil, La ville brûle, coll. « engagé-es », 2009, pp. 8-11. 10 fois négative et positive de l’anarchisme, soit le refus de l’autorité et l’exigence inconditionnelle de liberté. Il présente également une portée plus générique que le second qui, s’il apparaît sous la plume de Joseph Déjacque dès 185726, ne semble se généraliser qu’à la fin du XIXe siècle chez les anarchistes individualistes27. À quelques reprises, nous les employons toutefois comme des synonymes pour désigner les luttes et les discours qui dénoncent les systèmes de domination au nom d’un idéal de liberté individuelle ou collective. En ce qui concerne plus particulièrement la presse anarchiste, nous avons retenu autant des journaux de propagande que des revues littéraires d’orientation libertaire. Dans le sillage de Vittorio Frigerio, nous estimons qu’une étude de la presse anarchiste ne peut exclure les revues littéraires qui ont participé à l’essor d’une mouvance culturelle anarchiste. L’historien prend lui-même appui sur les observations de René Bianco, grand spécialiste de la presse anarchiste francophone, pour affirmer que les revues littéraires anarchistes de la fin du siècle « oeuvrent parallèlement à une galaxie de journaux dont le but principal est la propagande et l’éducation28. » Une étude de la presse anarchiste ne peut faire l’économie des journaux de propagande et des revues littéraires qui, malgré leur mission sociale différente, contribuent à inscrire l’anarchisme dans la vie politique, littéraire et culturelle de son temps. Parmi les publications anarchistes qui ont été dépouillées figurent des journaux de propagande qui ont accordé une place à la littérature dans leurs pages, tant sous la forme de textes de création que de critiques littéraires. Sont également considérées les revues littéraires de la fin du siècle qui ont exprimé des sympathies libertaires à travers un discours sur la société, l’art et la littérature. 26 Joseph Déjacque, De l’Être-humain mâle et femelle. Lettre à P.-J. Proudhon, Nouvelle-Orléans, Lamarre, 1857. 27 Il s’agit d’une interrogation terminologique lancée par plusieurs chercheurs, qui mériterait toutefois d’être investiguée davantage. Voir notamment l’introduction du numéro « Vallès et les anarchistes », du quarante-sixième numéro de la revue Autour de Vallès, dirigé par Sarah Al-Matary. 28 Vittorio Frigerio, « La vérité par la fiction : anarchisme et narration populaire », Belphégor, vol. 9, numéro 10, fév. 2010. Récupéré de : https://dalspace.library.dal.ca/handle/10222/28725. __