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Chapitre II : L’ère du « repli sur soi » : Recul et renaissance du mouvement libertaire en Saône-et-Loire. [1887-1899)
B) Le temps de la répression (1893-1894)

Texte précédent :

[Chapitre II : L’ère du « repli sur soi » : Recul et renaissance du
mouvement libertaire en Saône-et-Loire. 1887-1899)

A) "L’increvable anarchisme" (1887-1893)

1) Les lois scélérates et leur application

a) De l’apogée de l’attentat anarchiste à l’application d’une législation d’exception

Pour comprendre ce qui ce passe en Saône-et-Loire dans les années 1893,1894, il est nécessaire de
se replacer dans le contexte national. Si la dynamite avait cessé de faire des ravages dans le
département, il n’en était pas de même à l’échelle du pays où « la propagande par le fait »
connaissait son apogée au début des années 1890. En effet, Maitron parle même de « l’ère des
attentats » pour qualifier la période qui va des premiers attentats de Ravachol en 1892 à l’assassinat
de Sadi Carnot par Caserio en 1894, en passant par l’attentat de Vaillant contre le Palais-Bourbon
en 1893 [1] . C’est ce bras de fer des « anarchistes contre la république » qui va entrainer le vote de
trois lois, dites plus tard « scélérates [2] », permettant de lutter contre les milieux anarchistes. Ainsi le
12 décembre 1893, une première loi criminalise les provocations indirectes par voie de presse, le
18 décembre 1893, une deuxième loi sur les associations de malfaiteurs permet aux autorités de
démembrer les groupes anarchistes plus facilement ; et enfin le 28 Juillet 1894, la dernière des lois
« scélérates » permet « l’incrimination des idées anarchistes [3] ». Ce nouvel arsenal juridique va
ouvrir la voie à ce que Manfredonia qualifie de « période de répression sans précédent depuis la
saignée de la commune [4] ».

b) Les perquisitions

La répression engagée contre les anarchistes sur le plan national va entrainer trois séries de
perquisitions sur l’ensemble du département en novembre 1893, février 1894 et juillet 1894. Ces
diverses opérations sont effectuées avec zèle, comme le rapporte un commissaire spécial au préfet :

« les anarchistes de la région sont soumis à un régime d’investigations soudaines et répétées [5] ».

Cependant, même si le préfet de Saône-et-Loire salue les « lois scélérates » : « ces mesures
exceptionnelles me paraissent s’imposer contre tous ces ennemis de la société [6] », il n’en est pas
moins lucide quant à l’application de ces lois dans le département : « un trop grand nombre de
condamnations risquent de radicaliser un mouvement qui était calm [7] ».

Le bilan de ces perquisitions, résumé dans le tableau ci-dessus, confirme la tendance du
mouvement de Saône-et-Loire vers l’apaisement et le « repli sur soi ». En effet, les principales
saisies ont rapport à la presse ou aux brochures libertaires, or, les forces de polices cherchaient
principalement de quoi fabriquer des bombes [8] . Il n’y a bien qu’à Toulon-sur-Arroux que le
compagnon Cendrin détiendrait quelques bâtons de dynamite [9] , bien que d’autres documents laissent
penser qu’il est innocent. Le dépouillement des procès verbaux apporte peu de nouvelles
informations, si ce n’est quelques témoignages qui nous permettent de mieux comprendre l’idée que
ce faisait certains compagnons de leur engagement. Par exemple, le compagnon Chambonet à
Montceau se déclare « anarchiste-humanitaire », c’est à dire qu’il se considère comme « anarchiste
non-violent » [10] . Quant à Goffin de Saint-Vallier, fidèle lecteur du Père Peinard, il récuse
l’appellation d’anarchiste, il se déclare socialiste, cependant il ajoute : « bien sûr en cas de
révolution, je prendrais un fusil. » [11]

2) La traque des anarchistes

a) L’anarchisme, un délit d’opinion ?

« Les trois principales lois spéciales de répression élaborées fiévreusement pendant la période des attentats […] eurent pour caractère commun et essentiel de permettre l’incrimination des idées
anarchistes.[...] Sans hésiter à mettre en cause la liberté d’opinion proprement dite, il [le
législateur] chercha à frapper la propagande anarchiste même non publique. [12] »

Les années 1893-1894 marquent un tournant dans la lutte contre l’anarchisme. En effet, selon
Machelon et Manfredonia, l’état, par l’intermédiaire de ces législateurs, se dote d’un ensemble de
lois qui punit des délits qui ressemblent bien à des « délits d’anarchisme [13] ». On monte d’un cran sur
l’échelle de la répression en incriminant les idées anarchistes elles-mêmes. Dès lors, selon
Machelon, la loi du 18 décembre 1893 permettait aux autorités de faire un « amalgame légal entre
l’anarchiste le plus éloigné de l’action directe et un délinquant de droit commun », ainsi la loi
supposait une « solidarité entre les terroristes et les théoriciens anarchistes [14] ».
La logique de ces lois entrainent une nouvelle forme de délit : la « provocation indirecte [15] ». Ainsi,
au lendemain de l’assassinat de Sadi Carnot, de nombreux compagnons vont être poursuivis pour
s’être réjouis « un peu trop ostensiblement » de la mort du président. C’est dans ces conditions que
de nombreux anarchistes du département sont poursuivis pour « apologie de meurtre » ou
« provocation », à l’instar du compagnon dijonnais Monod. C’est le cas de Laugerette à Sanvignes
qui discutant de l’assassinat de Carnot au café avec ses amis aurait déclaré :

« On a bien fait de tuer Carnot et on devrait élever un monument à l’occasion, je donnerais bien
vingt sous pour cela [16] »

Certain compagnons sont même plus violents dans leurs propos, comme Bardin de Tournus, qui se
félicite de la mort de Carnot et espère que « Casimir Perrier y passera aussi » et qu’on « mettra le
feu au Palais-Bourbon pour brûler tous les députés » [17] .

b) La « paranoïa policière »

« Saisies de presse, visites domiciliaires et perquisitions, arrestations arbitraires, tous les moyens
étaient bons. [...]La psychose de la dynamite favorisait toutes les violations de la liberté
individuelle.[...]Nous seulement les compagnons furent impitoyablement traqués, et par tous les
moyens, mais la surveillance policière la plus pesante s’abattit sur toute personne ayant, de près ou
de loin, rapport avec un anarchiste. [18]
 »

Au niveau de la Saône-et-Loire, les constations de Machelon se traduisent par un grand nombre d’arrestations arbitraires. Les autorités semblent amalgamer marginaux, sans domicile fixe, et
socialistes sous le terme « d’anarchiste ». Le cas le plus évident de ces arrestations arbitraires
concerne un certain Gustave Flick, ancien communard. Le commissaire spécial de Charolles veut à
tout pris l’arrêter pour « anarchisme », or, son journal intime, en possession des policiers, montre
qu’il dénonce les attentats anarchistes même s’il est « contre le gouvernement » :

« Le gouvernement de la soi disante république nommait Périer en remplacement de M. Carnot, victime d’un lâche assassinat. [19] »

c) Brouiller les pistes : une réponse à la répression ?

Avec la peur de l’attentat et cette « paranoïa policière », les autorités croulent rapidement sous le
travail. En effet, un rapport d’août 1894, note les difficultés de la police « noyée sous le très grand
nombre de signalement d’anarchiste à surveiller » [20] . Or, il semble que les anarchistes aient joué de
ces difficultés pour « brouiller les pistes ». L’exemple qui corrobore le mieux cette hypothèse est
celui de la série de faux attentats qui touchent Montceau et le bassin minier. En effet, au début de
l’année 1894, les autorités trouvent à trois reprises des engins suspects. Chaque fois, un premier
rapport indiquera la découverte d’un « engin explosif » ou d’une « bombe » mais un rapport
ultérieur viendra toujours indiquer qu’il s’agissait d’un « faux engin ». Les anarchistes ont fabriqué
des engins qui ressemblaient à des bombes, mais qui étaient en fait remplis de sable [21] . On peut
penser que par ce biais, les libertaires ont voulu provoquer la police pour rendre sa tâche plus
difficile. Les autorités sont d’ailleurs assez lucides sur les « ruses » des anarchistes même si elles
semblent parfois un peu abusives dans ce qu’elles dénoncent. En effet, en août 1894, une série de
faux télégrammes donne des noms d’anarchistes fantaisistes à surveiller. Par exemple, un
télégramme demande de rechercher l’anarchiste « Malatigny », alors qu’un message ultérieur
explique que le premier était un faux et que l’anarchiste dont il était question est « Malatesta ». [22]
Cependant on note d’autres types de provocations, plus crédibles, comme une lettre qui menace d’un
attentat contre la voie ferrée [23] , ou des affichages sauvages et frondeurs, dont l’affiche retrouvée à
Issy l’Evêque : « Vive l’anarchie, Gare à la bombe ! [24] ». Si ces menaces ne sont jamais mises à
exécution, elles contribuent à renforcer ce que Manfredonia appelle : « la fausse peur des bien
pensants » [25].

Suite :

C) La renaissance de la propagande anarchiste sous l’impulsion de Lucien Weil (1895-1899)