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Le groupe du 18 février 85

Comme nous l’avons expliqué plus haut, le groupe du 18 février est une dissidence de Liaisons, ou plutôt un sous-groupe, créé suite à un désaccord idéologique. Ses membres voulaient préciser la théorie anarchiste tout en continuant à participer au travail d’information de Liaisons. Le groupe gardait néanmoins un intérêt certain pour les préoccupations sociales de Liaisons. Il déclarait en effet vouloir « participer aux luttes du prolétariat, en cherchant à sauvegarder l’unité d’action par des moyens (conseils ouvriers, comités de quartier, d’étudiants, etc…) que les travailleurs auront créés eux-mêmes et dont ils assumeront en permanence le contrôle ».

Le groupe se réunissait dans une maison de la rue des Renards à Bruxelles chez Philippe DOGUET. Hormis cet hôte et l’éditeur responsable du groupe, nous ne connaissons pas l’identité des personnes qui y ont pris part, les articles parus dans les publications du groupe n’étant jamais signés. Toutefois, nous savons que François DESTRYKER a pris part à ces activités puisqu’il a même été le responsable de son compte-chèques ». Mis à part ces personnes, le groupe se dit composé de travailleurs et d’étudiants se référant à une pensée anarchiste mais non dogmatique. Ceux-ci ne croyaient pas en la création d’un groupe révolutionnaire et se méfiait des scléroses bureaucratiques et du déviationnisme autoritaire des pratiques staliniennes qui, selon eux, ne peuvent que mener le mouvement ouvrier révolutionnaire dans l’impasse de l’électoralisme.

Les essais de théorisation entrepris par le groupe eurent pour tribune des publications éphémères comme Rebelle et Les Cahiers du 18 février. Le but de celles-ci était de constituer une tribune libre des études politiques, sociales ou économiques et, en final, de démystifier l’anarchie de sorte que celle-ci ne rime plus avec « utopie ou bombe ». Comme dans Liaisons, les pages étaient ouvertes à tous et chacun était responsable de ses écrits. Les deux publications furent éditées sous la responsabilité de Joseph DE SMET, ce qui montre que les anciennes générations de militants anarchistes restaient attentives aux activités des plus jeunes.

Il y eut trois numéros de Rebelle qui parurent entre 1970 et 1971. Le premier numéro s’interrogeait sur la violence et la répression policière et militaire dans le monde, principalement dans les pays autoritaires comme la Grèce, mais aussi en Belgique. Ce numéro traitait aussi de la violence de certains anarchistes, de la situation sociale de l’Italie et de la guerre du Vietnam. Le groupe ne se cantonnait cependant pas à l’édition de sa revue, il éditait aussi des tracts. Ainsi, concernant le Vietnam, qui était un sujet brûlant à l’époque, le groupe va distribuer un tract définissant sa position face au F.N.L. lors de la marche anti-OTAN du 15 octobre 1969. Le deuxième numéro de Rebelle traitait intégralement de l’objection de conscience et de l’anti-militarisme. Il présentait les nouveaux statuts, les positions des anarchistes à ce sujet et élaborait une stratégie globale concernant l’anti-militarisme révolutionnaire. Si on en croit François DESTRYKER, la composition de ce numéro de Rebelle s’est déroulée dans une certaine tension entre les membres du groupe, des dissensions étant apparues à propos des positions à prendre, ce qui a provoqué une sorte de scission au sein du groupe du 18 février. Un nouveau groupe fut donc créé pour l’occasion, Objection Libertaire et Contre Violence (O.L.C.V.), qui assuma la responsabilité de la rédaction de ce numéro. Notons que cette « dissidence » était toujours emmenée par François DESTRYKER et se retrouvait à l’avenue Geyskens, chez Janine DE MIOMANDRE, avant de déménager à la Maison de la Paix, rue Van Elewyck. Son but était de rassembler les objecteurs et les futurs objecteurs de conscience anarchistes , mais aussi de conscientiser les jeunes travailleurs et étudiants aux problèmes engendrés par l’obligation du service militaire, qu’ils interprétaient comme un « encasernement au service de la bourgeoisie », et de les amener à poser un acte antimilitariste et anti-impérialiste en devenant objecteurs de conscience et en travaillant en liaison directe avec le mouvement ouvrier révolutionnaire. Toutes ces tensions n’ont pas été positives pour le groupe, qui va éprouver des difficultés à boucler le troisième numéro de Rebelle. Celui-ci ne comptait d’ailleurs plus que quatre pages.

Bien que la revue connaisse un changement de titre, puisqu’elle est dorénavant intitulée les Cahiers du 18 février, il est important de constater que le mot d’ordre de celle-ci resta inchangé. Le texte de base du groupe était également identique à celui adopté à ses débuts.

Le premier numéro des Cahiers du 18 février était quasiment entièrement consacré à l’affaire DELLA SAVIA. Yvo DELLA SAVIA était un anarchiste italien, anti-fasciste et objecteur de conscience. Déserteur, il se réfugia en Belgique en 1969. Il logea pendant tout un temps à la rue de Washington, dans une communauté étudiante. En 1970, des attentats à la bombe éclatèrent en Italie et Yvo DELLA SAVIA fut soupçonné par les autorités italiennes d’avoir fourni les explosifs. Dans le même temps, l’Italien fit une demande pour bénéficier du statut de réfugié politique en temps qu’objecteur de conscience. La police belge l’arrêta et le condamna pour séjour illégal en Belgique à trois mois de prison. L’Italie introduit une demande d’extradition. Un comité d’aide DELLA SAVIA fut alors mis sur pied. Il lança des appels dans la presse pour tenter d’alerter l’opinion publique sur leur cause. Différents organismes répondirent présents et s’associèrent à la lutte : les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes, le Mouvement Chrétien pour la Paix, le Front Socialiste Unifié, le Centre d’Action Directe Non-violente, L’action Démocrate, l’I.R.G., Amnesty International… Le numéro spécial des Cahiers du 18 février a d’ailleurs été rédigé en collaboration avec le Comité d’aide DELLA SAVIA et avec l’I.R.G. Des fonds furent récoltés pour soutenir l’objecteur. C’est François DESTRYKER qui gérait les finances. Une pétition a même été lancée. Toute l’organisation du soutien à cet anarchiste émanait de la Maison de la Paix à Ixelles. C’est à partir de cette collaboration que le O.L.C.V. se « domicilia » à la Maison de la Paix. Les sources de ce numéro spécialement consacré à la répression en Belgique ont d’ailleurs été consultées à la bibliothèque de l’Alliance (Maison de la Paix).

Le deuxième numéro de la revue était quant à lui consacré au thème des élections. Dans les articles, les auteurs dénonçaient « les activités parlementaires » et le « mythe des partis de gauche ». Comme Liaisons, ce groupe croyait que la révolution était possible et y aspirait. Il voulait apporter une contribution à cet avènement. En l’occurrence, il s’agissait pour le groupe de favoriser la liaison et de multiplier les contacts entre les travailleurs. La différence fondamentale entre les deux groupes, mis à part que le groupe du 18 février se déclarait ouvertement anarchiste, résidait dans le fait que les membres de l’O.L.C.V. considéraient que le rôle de chaque acteur était important dans l’entreprise révolutionnaire : « L’efficacité du mouvement révolutionnaire dépend de l’effort de chacun d’entre nous ». Le groupe était convaincu d’avoir un rôle à jouer dans la révolution en tant qu’avant-garde révolutionnaire. Elle s’opposait en cela au spontanéiste de Liaisons de Liège. Finalement, les tensions au sein du groupe du 18 février vont devenir trop fortes entre les communistes libertaires et les anarchistes individualistes. Le groupe cessa ses activités. Certains, comme nous l’avons vu, réintégrèrent Liaisons tandis que les communistes libertaires, après une expérience communautaire, réalisèrent un numéro unique d’un journal qui avait pour titre Graffiti, et à propos duquel nous n’avons trouvé aucune information.