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L’Action Commune Libertaire (A.C.L.)

Alors que le groupe Pensée et Action s’essoufflait et ne semblait pas remplir suffisamment son rôle de propagande, un nouveau groupe anarchiste va prendre le relais. En avril 1952, un premier courrier est envoyé par Joseph DE SMET pour expliquer la nécessité de créer un front commun anarchiste. Le choix du nom du groupe, l’Action Commune Libertaire, traduisait la volonté de concilier deux formules organisationnelles : le Bureau, qui organise des réunions et prend des contacts, et l’Entente, « sorte de noyau de la société future ». La première réunion eut lieu le premier mai 1952, à Bruxelles, au Café de la Paix . A cette occasion, des décisions importantes furent prises quant aux modalités organisationnelles du groupe, au système de propagande à adopter et aux moyens financiers qu’on y accorderait. Lors de cette réunion, un Bureau a dû être mis sur pied . Nous n’avons trouvé aucune trace des nominations, mais il semblerait qu’Alfred LEPAPE (Dour) soit devenu le responsable du groupe pour la propagande. Il était en effet l’éditeur responsable de toutes leurs publications. L’administration et le secrétariat ont dû être confiés à Guy BADOT (Charleroi). A leur côté, on retrouve dans la correspondance les noms de Hem DAY (Bruxelles), Georges SIMON (Quaregnon), Joseph DE SMET (Gand), Luis BROECKE (Anvers) et ADAMAS (Liège). Pour mieux travailler, il semblerait que le comité se soit scindé régionalement pour organiser ses réunions et réduire les déplacements. Le travail se faisait donc entre comités régionaux qui correspondaient entre eux par courrier et qui, à l’occasion, se réunissaient. Une assemblée générale devait avoir lieu au moins une fois par an en présence de tous les membres. Au sortir de la première réunion, un appel fut lancé « aux amis et camarades libertaires, [et] à tous les esprits libres » pour qu’ils rejoignent le groupe et fassent triompher leur idéal. L’union de toutes les « forces libres, paralysées trop souvent par la dispersion des efforts » devait permettre en toutes occasions de faire entendre la voix libertaire et d’exercer une influence sur les évènements . Cet appel fut publié dans la presse internationale et connut un retentissement assez important. Ainsi, le groupe reçut des lettres de soutien, émanant notamment d’anarchistes de l’ancienne génération comme Camille MATTART , et des propositions de collaboration leur furent soumises, par exemple avec un groupe d’anarchistes de Lille.

En juillet-août 1952 eurent lieu en Belgique les évènements connus sous le nom de « Révolte des Casernes ». Une septantaine de miliciens de différentes casernes lancèrent un mouvement de protestation contre l’allongement du service militaire à vingt-quatre mois. Ils furent très vite arrêtés et durent passer devant le Conseil de Guerre. Cet événement connut un très grand retentissement. La F.G.T.B. lança même une journée de grève ouvrière pour demander la grâce des prisonniers . L’Action Commune Libertaire décida de diffuser un tract expliquant la position des anarchistes à ce sujet, qui consistait en une opposition systématique contre toute forme de service militaire, qu’il soit de vingt-quatre, dix-huit, douze ou six mois : les anarchistes combattent le militarisme, le patriotisme et l’État . Le texte fut diffusé un peu partout, notamment dans la presse anarchiste étrangère, comme par exemple en Italie .

L’A.C.L. belge va également prendre position lors de son assemblée générale du 11 janvier 1953 sur les problèmes que connaissait la Fédération anarchiste française. Ils envoyèrent un communiqué de protestation afin de le diffuser dans le journal Le Libertaire . Ce communiqué dénonçait le « gangstérisme » employé par l’administration de la F.A. au sein de son organe de presse . En effet, depuis 1950, la Fédération Anarchiste Française tombait sous la coupe d’un sous-groupe secret développant une vision autoritaire de l’anarchie, l’Organisation-Pensée-Bataille (O.P.B.), qui réussit à contrôler la région parisienne et à imposer sa ligne idéologique au Libertaire .

Peu de temps après, l’A.C.L. décida de sortir un tract à l’attention des travailleurs pour leur expliquer ce qu’est réellement l’anarchisme, au-delà des préjugés. De vives discussions s’entamèrent sur la forme que devait prendre ce texte. Celui-ci définissait l’anarchisme comme « l’idéal le plus humain qui soit » et le sort des anarchistes était associé à celui des prolétaires et de tous les exploités. Il mettait aussi en garde les travailleurs contre les dieux, les partis et les révolutions autoritaristes. Enfin, en contrepartie de leur adhésion à leur idéologie, les anarchistes ne leur promettaient rien, « pas de miracles, pas de sauveurs, pas de bonnes places, Tous au combat ». Les anarchistes individualistes n’acceptèrent pas l’ensemble du texte . C’est Alfred LEPAPE qui calma le jeu en proposant l’édition d’un deuxième tract plus clair et plus général sur les différentes possibilités qu’offrait l’anarchisme . La rédaction d’un nouveau tract intitulé « Ce que veulent les anarchistes » fut immédiatement entamée. Les discussions vont encore une fois se polariser entre individualistes et anarcho-syndicalistes. Les individualistes bruxellois emmenés par Hem DAY et Joseph DE SMET vont ainsi s’opposer à la frange régionale wallonne de Guy BADOT et Georges SIMON. Les premiers voulaient que le tract soit le plus complet possible. Les deuxièmes entendaient privilégier la clarté pour ne pas « assommer le lecteur avec de la théorie », signalant sur un ton plein de sous-entendus envers les membres de l’autre « bord » qu’il était pour eux « plus intéressant d’amener des travailleurs […] que des snobs en mal de philosophie ». Les premiers vont proposer un texte qui sera rejeté parce que jugé trop long. Les deuxièmes le transformèrent alors complètement, aboutissant à un texte très vague, lui aussi rejeté car trop « falot » . En effet, à force de discussions, le texte initial « fut tellement réduit qu’il se révéla par trop émasculé ». Après une abondante correspondance à ce sujet, le projet va finalement être abandonné. On comprend aisément que ce genre de conflit n’est pas profitable à l’A.C.L. ; cela a plutôt tendance à faire fuir les sympathisants. Bruxelles va alors se lancer dans un projet de brochure intitulé « A.B.C. de l’anarchisme ». Ce projet sera proposé à l’assemblée du 14 juin 1953 ; l’introduction en sera même écrite . Il semble cependant que cette initiative n’ait abouti à rien.

Face à ce malaise, Alfred LEPAPE va à nouveau essayer de calmer les esprits en montrant au groupe les possibilités d’action qu’il peut avoir. Il ne perd pas foi dans l’utilité des projets menés. Ainsi, il va par exemple afficher un des tracts édités à un endroit où il pourrait être « vu par des milliers de personnes », espérant ainsi « convertir » le plus de monde possible, quitte à s’attirer un certain nombre d’ennuis .

Le groupe se lança alors dans un autre projet de publication, un tract de soutien à Noël PLATTEUW, membre de l’I.R.G et objecteur de conscience catholique, emprisonné une première fois en janvier 1954 et condamné le 3 mars en Conseil de Guerre à six mois de prison . Ce projet est pris en main par Alfred LEPAPE, alors secrétaire du groupe du Borinage de l’I.R.G., et par Hem DAY . Pour eux, ce genre de prise de position pouvait constituer une bonne vitrine pour les idées anarchistes et pacifistes. Notons que cette initiative a été prise avec l’accord de Noël PLATTEUW, qui acceptait le soutien de tous les groupes antimilitaristes, du moment qu’ils étaient sincères . Le tract exposait les positions des anarchistes sur l’affaire mais, au-delà de ce « prétexte », il s’agissait d’une condamnation globale du militarisme, de la guerre et de ce qui pour eux en constitue la cause : l’État. Dans leur tract, les membres de l’A.C.L., pourtant résolument athées, mettaient en avant le bon sens de la morale chrétienne de PLATTEUW, qui respectait la parole de Jésus « Aimez-vous les uns les autres ». Ce genre de position va amener des critiques de la part de vieux anarchistes comme Léon TERROIR, qui n’acceptait pas que l’on mette en avant la soumission à l’État en acceptant la prison. Lui prônait dans un pareil cas des actes réfractaires ou bien l’exil. Pour lui, les anarchistes doivent, selon leurs principes de liberté, refuser à tout prix la prison et ne surtout pas stigmatiser positivement les actes de soumission à l’Etat. Notons que ce débat va l’amener à une brouille avec Hem DAY et le pousser finalement à se retirer du mouvement anarchiste pour rester seul, à faire son petit boulot, isolé mais en restant « son maître » .

Toujours dans le cadre de l’ « affaire PLATTEUW », le groupe participa à des actions plus concrètes, notamment l’organisation d’une conférence dans le Borinage, plus précisément à Hornu . Cette causerie de Hem DAY, organisée dans le but de récolter des fonds pour le procès de Noël PLATTEUW, devait traiter de la « confusion dans le pacifisme ». Malheureusement, bien que cette activité ait fait l’objet d’une vaste publicité , la séance n’eut finalement pas lieu car il semblerait qu’une douzaine de participants aient été arrêtés par les forces de l’ordre. Le groupe commença à se décourager, d’autant plus que certains militants se plaindront de pas avoir été mis au courant suffisamment à l’avance pour pouvoir organiser des manifestations lors du procès de PLATTEUW .

Après cette nouvelle mésaventure et en prévision des nouvelles élections, l’A.C.L. va entreprendre la rédaction d’un nouveau tract cette fois sur la question du vote et de l’action antiparlementaire. De nouveau, les tensions internes vont prendre le dessus entre les groupes créés précédemment. Tous les membres se rendaient alors bien compte que l’A.C.L., de par sa composition, n’était que le « rendez-vous des diverses tendances qui s’affrontent et non un groupe d’action pratique ». Les uns dénonçaient les prises de position autoritaires des communistes libertaires, et les autres le comportement petit-bourgeois conformiste et bavard des individualistes. On finit par en venir aux insultes. Alfred LEPAPE, excédé, décida alors de publier le tract en son nom propre et sur ses deniers puisque, selon ses dires, les autres n’en avaient pas le courage et faisaient ainsi « honte à l’anarchisme. » Il se retrouva alors isolé avec en plus une condamnation à payer pour les propos tenus dans le tract. Blessé dans son honneur, et surtout par le fait que personne ne l’ait prévenu de la mort d’ERNESTAN, il refusa de prendre l’argent que ses camarades avaient collecté pour lui, préférant le brûler que de l’accepter si on lui envoyait . Voilà consommée sa rupture avec le groupe, imputée pour certains à sa « susceptibilité qui ressemble étrangement à l’intolérance cléricale ou stalinienne ». Cette histoire va entraîner la dissolution de l’A.C.L. : il devenait évident qu’aucune des différentes tendances de l’anarchisme ne désirait plus s’associer avec les autres. De plus, le rôle de « tampon » n’était plus joué par Alfred LEPAPE, qui s’était retiré du groupe.

L’Action Commune Libertaire ne se réunira plus et, avant la création du Cercle la Boétie, il ne restera plus en Belgique que quelques individualités se réclamant de l’anarchie, dispersées dans le pays, ayant plus ou moins d’influence personnelle dans leur milieu propre ou dans certaines organisations comme l’I.R.G. par exemple.