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Recherches anarchistes
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La coopérative libertaire II

"1913-1914 : La coopérative libertaire du Cinéma du Peuple. -2-" [1]

Une vingtaine de personnes fait vivre la société, militants syndicaux, artistes et intellectuels anarchistes, [2] comme Sébastien Faure et Jean Grave, mais aussi deux autres collaborateurs du Libertaire et des Temps nouveaux, André Girard et Pierre Martin. Les autres propagandistes sont notamment Jane Morand, militante anarchiste, et Charles-Ange Laisant. Certains socialistes participent aussi à la coopérative notamment l’avocat Louis Oustry et le militant Chevalier. Des syndicalistes révolutionnaires s’associent au projet, ainsi Jean-Louis Thuillier, secrétaire du syndicat du bâtiment et de l’Union des syndicats de la Seine, et Eugène Morel, cheminot et gérant de La Bataille syndicaliste. Enfin, l’antimilitariste Emile Rousset [3], l’écrivain Marcel Martinet de même que le chansonnier Robert Guérard se retrouvent aux côtés des autres coopérateurs.

(…) Pas de sectarisme ! Il y a dans notre société des socialistes, des libertaires, des syndicalistes qui veulent faire œuvre utile. Cela leur suffit. [4]

Effectivement, socialistes et anarchistes, malgré leur clair différent politique depuis notamment, la fondation de la récente SFIO de 1905, gardent une histoire en commun, celle de leur naissance dans le même creuset du socialisme utopique. [5] Les anarchistes, par ailleurs, se revendiquent encore comme « socialistes » au début du Xxème siècle. Leur rassemblement au sein du projet du Cinéma du Peuple ne semble donc pas paradoxal. Leur but est de donner aux travailleurs, aux ouvriers, des films de qualité, revendicatifs et instructifs. Bidamant exprime combien il est nécessaire de casser les préjugés et les images commerciales produits par les bourgeois sur les classes défavorisées.

(…) Les cinémas actuels se gardent bien de faire défiler devant les spectateurs la vie telle qu’elle est. La grève, cette arme féconde de révolte, est défigurée, déshonorée par les films sortant des maisons de productions cinématographiques. J’ai vu, l’autre jour, sur l’écran, un épisode de grève : ce sont les grévistes saouls, la femme et les petits qui essayent d’arracher le mari au cabaret. C’est un mensonge, mais cela prend, dans le cerveau frustre du public. [6]

Le Cinéma du Peuple s’adresse directement aux travailleurs en leur proposant des productions les concernant. [7] Avant même que la société soit créée, Bidamant imagine puiser dans l’histoire du prolétariat des thèmes pour les films à venir, comme la grève, la vie à l’usine, à la mine, ainsi que des sujets historiques comme la Commune de Paris. [8]

(…) Notre but est de faire nous-mêmes nos films, de chercher dans l’histoire, dans la vie de chaque jour, dans les drames du travail, des sujets scéniques qui compensent heureusement les films orduriers servis chaque soir au public ouvrier. Le contrepoison est entre vos mains, camarades, sachez-vous en servir. [9]

Le secrétaire du Cinéma du Peuple, Bidamant, son adjoint, Chevalier, l’administrateur technique, Robert Guérard, et son adjoint, Gustave Cauvin, mettent en place la coopérative sur un mode autogestionnaire. Ainsi on admet des membres sans jamais faire de distinction de sexe ni de nationalité, politique rare à l’époque. Selon son statut, le Cinéma du Peuple se refuse à toutes actions électoralistes, ce qui ne satisfait pas tout le monde, et en particulier certains socialistes comme le journaliste de L’Humanité, Léon Rosenthal, émettant des réserves quant au projet et incitant les socialistes à fonder, à l’identique du Cinéma du Peuple, un cinéma « socialiste ».

(…) Nous ne pouvons donc leur donner notre adhésion, nous serions exposés à les voir prêcher (…) l’abstention et publier des films antivotards. [10]

Isabelle MARINONE